L'esthétique japonaise exprime une séduction érotique et sensuelle subtile, très spécifiquement liée un sentiment d'érotisation raffinée, conjuguée à une sensualité de l'éphémère, de l'impersonnel, du transitoire. C'est, au fond, une sensualité qui éprouve le double sentiment de l'impermanence des choses et du détachement.

Conformément au protocole conceptuel que je me donne, je me maquille (je me peins) invariablement de la même couleur que le fond de l’image.

On admet que le maquillage occidental, conçu pour embellir et magnifier, promeut le particulier et la singularité. Or, en exacte opposition avec le maquillage occidental, le maquillage japonais traditionnel (shironuri) vise à l’abstraction, à l’indifférence. Le shironuri (littéralement «peint en blanc») tend à seulement effacer, dépersonnaliser, masquer. Il condamne la singularité du visage, se plaque sur la figure en la recouvrant de blanc, efface toute individualité. Une geisha ainsi maquillée de blanc ne recherche aucune perfection, elle vise seulement à ressembler à un modèle. Sous son masque blanc, la geisha tend à s’identifier non à un idéal imaginaire, mais, au contraire, à une idée abstraite, à une forme générique, à un registre symbolique, à un archétype féminin du xviiie siècle, à une substance japonaise essentielle.

Le shironuri est en réalité un masque. Cette esthétique de l’effacement manifeste une sensualité essentiellement fugace, impersonnelle, cultivée. La culture japonaise cherche, à travers le shironuri de la geisha, à exprimer cet élan vers l’inatteint, l’indéterminé, l’immatériel.

Ce sont ces nuances et ces ambiguïtés que le visage d'une femme voilée de blanc célèbre avec érotisme et détachement.

Mes images donnent à l'être invisible une expression visible. L'orientation monochrome de mes autoportraits, entre visibilité et invisibilité, entre disparition et révélation, entre apparence et abolition, cherche à donner à voir l'intangible et l'immatériel, qui sont l'expression de l'esprit du zen, où l'être, délivré de ses limitations ordinaires, tend à se confondre avec la durée du Temps.

Kimiko Yoshida.
2005.